18 avril 2015

Éco-suicide (suite)

La tête hors du sable... temporairement.

À faire circuler si vous pensez que la VIE vaut plus que l’ARGENT.
L'idée n'est pas d'arrêter le progrès, mais de l'orienter vers la préservation des éléments indispensables à la vie plutôt que d'en accélérer la destruction.

L’or du golfe
(Documentaire)

Une exploration de la question du pétrole au Québec pour mieux comprendre ses enjeux économiques, sociaux et environnementaux. Tout en découvrant la beauté du golfe du Saint-Laurent, L’or du golfe relate les différents aspects de la prospection pétrolière à travers la réalité des acteurs concernés (entrepreneurs, élus, citoyens) et l’opinion d’experts. Il a pour objectif de faire réfléchir le spectateur au rapport paradoxal que nous entretenons avec cet or noir omniprésent dans nos vies. Depuis quelques années, le prix élevé du pétrole sur les marchés internationaux a ravivé la flamme exploratrice au Québec. Pris dans la vague de controverses sur les gaz de schiste, les hydrocarbures se sont retrouvés sur l’avant-scène médiatique, polarisant l’opinion publique.

Réalisateur Ian Jaquier, producteur Denis McCready, narrateur Kevin Parent.

Photo : À quelques mètres des résidences, Stéphane Barsalou (preneur de son) et Julien Fontaine (directeur de la photographie) filment une flaque de pétrole causée par une fuite à l’emplacement d’un vieux puits abandonné autour de 1894. Un peu partout sur la péninsule de Haldimand, à Gaspé (Québec), il y a plusieurs puits abandonnés qui fuient.

Projections :

- Jusqu’au 23 avril, cinéma Excentris, Montréal (possibilité d'extension)
http://cinemaexcentris.com/L-or-du-Golfe-2032
- Jusqu’au 23 avril, cinéma Cartier, Québec (possibilité d'extension)
- 26 avril, St-Casimir, dans le cadre du Festival de films de Portneuf sur l’environnement (FFPE)
- 22 mai, Îles-de-la-Madeleine

ICI RDI (un des partenaires) le présentera bientôt  

Bande annonce :


En complément

L'ESPRIT DU LIEU

Voyage au cœur d’un pipeline
Par Serge Bouchard (1)
28/01/2015

Dans les années 1950, les mères battaient encore leurs enfants lorsqu’ils commettaient des fautes graves. Aucune loi n’empêchait les parents d’exercer leur courroux sur les fesses de leurs rejetons. Je me souviens d’en avoir mangé toute une, à l’occasion de la construction d’un pipeline à Pointe-aux-Trembles. À cette époque, un grand nombre de raffineries de pétrole faisaient la fierté de la province de Québec. Ces raffineries se concentraient en un seul lieu, presque à l’extrémité est de l’île de Montréal. 
       Notre terrain de jeu se perdait dans des réseaux de grands tuyaux; une épaisse fumée jaune sortait des cheminées, qui sentait les œufs pourris. Torches enflammées et ampoules électriques illuminaient le ciel, la nuit, créant l’impression d’une cité fantôme où se terraient des monstres. Or, ces monstres de la pétrochimie rejetaient directement dans le fleuve, tout près du quai de la rue Marien, leurs résidus de pétrole; le pipi noir de la prospérité. 
       Les «compagnies d’huile» avaient entrepris la construction d’un pipeline souterrain entre le quai et la rue Sherbrooke. Cela creusait une grande tranchée dans le sol calcaire, qui attirait les enfants du quartier. Dans le fond de cette tranchée, de gros tuyaux avec, à intervalle régulier, des bouches pour y pénétrer. Ce chantier était laissé sans surveillance et nous pouvions y jouer à volonté. Nos mères nous interdisaient absolument de nous aventurer dans ces coins-là, ce qui les rendait absolument irrésistibles. Aussi, fus-je pris en flagrant délit de courir en petit bonhomme à l’intérieur du pipeline, d’une bouche à l’autre, pour impressionner mes copains. C’est alors que ma mère a choisi de sortir la verge de la punition. Je connais donc le pipeline de l’intérieur. 
       J’ai vu le fleuve Saint-Laurent charrier de l’huile brune à une époque où le mot «environnement» n’existait pas. J’ai connu les sols contaminés, la nature morte, les carrières dénudées, les camions d’huile, la féérie chimique des nuits d’été. J’ai entendu le bruit incessant du raffinage, senti son odeur, son inoubliable puanteur; j’ai connu les explosions des réservoirs, la mort tragique des pipe-fitters, la fatigue des chauffeurs de truck attablés au delicatessen, la nuit, le jour, en hiver, en été, entre la Shell et la Texaco. Le pétrole était notre monde et ce monde était toxique. Mais, dans les années 1950, la toxicité faisait partie de la prospérité. Amenez-en du pétrole! Charrions-en du pétrole! Dans ce temps-là, le pétrole, ce n’était pas de l’énergie; c’était juste du «gaz». 
       Je suis vieux, aujourd’hui, et il ne me viendrait plus à l’idée de courir en petit bonhomme dans un gros tuyau. Mais j’ai toujours les yeux ouverts. Je vois que le pétrole d’aujourd’hui est plus sale que celui d’hier. Et voici que l’on projette la construction d’un super-oléoduc en provenance de l’Alberta, lequel va passer, non pas dans Outremont, mais bien dans le quartier de ma jeunesse, l’est de Montréal. 
       Devrais-je m’en étonner? En plus, ce pipeline traversera tout le sud du Québec, répandant son mal comme une peste noire à la grandeur du territoire. Selon les dires des promoteurs, ce projet serait un grand bienfait pour le monde. Les «compagnies d’huile» s’appellent désormais des «entreprises énergétiques»; elles travaillent pour le bien commun et pour la qualité de nos vies. Tant leur image que leur discours nous font valoir, une publicité après l’autre, un progrès responsable, des richesses réconfortantes et de vertes vallées. Autant dire le paradis terrestre. 
       En vérité, nous sommes en train de nous engluer dans nos mauvaises habitudes. Nous sommes des automobiles et nous baignons dans l’huile. Le voyage au long cours du grand serpent noir aura des retombées pour tous: des gouttes sales de richesse tout au long du trajet. Serait-ce cela, le progrès? Les mères ne battent plus leurs enfants; c’est devenu un crime. Mais quant aux dommages collatéraux de l’enrichissement collectif, nous nous enfonçons. Je dirais que, dans ma jeunesse, on en brassait et on ne se contait pas de menteries: on savait que c’en était. Aujourd’hui, on en brasse tout autant, mais on prétend brasser des affaires propres. 
       Or, de la «marde» propre, cela n’existe pas.

Un serpent toxique à Gogama
Par Serge Bouchard 
31/03/2015

Je me souviens d’être passé là, il y a quelques années. Je voyageais dans cette région de l’Ontario pour donner des conférences sur les réalités autochtones auprès des entreprises forestières. 
       Dit autrement, j’allais parler de l’histoire des Amérindiens aux «gars de bois», question d’apaiser les esprits, de réconcilier les âmes, de construire un avenir. Travail difficile en vérité, au fil de routes isolées et exigeantes, ah! que les heures étaient longues et les restaurants rares! Cette tournée me menait à Kapuskasing, Timmins, Chapleau, Sudbury – en passant par Gogama. Oui, je me souviens de la 144 nord, de ma Honda enneigée, d’un orignal en particulier et d’un froid à faire sautiller le corbeau. Je me disais qu’en ces pays, la beauté des rivières, le mystère des forêts, la pureté de l’eau et les animaux sauvages constituaient un trésor national. Vous me voyez venir, bien sûr. 
       J’imagine un beau train sillonnant ces paysages. Car un train peut être beau, et serviable, avec sa locomotive bien dessinée, ses wagons familiers, son allure de légende. Le train fait partie de l’histoire du Canada, on le sait. Il a charrié tant de blé, des planches et des madriers, des tonnes de marchandises, il a charrié des gens, des histoires. Cependant, le voilà qui déraille, littéralement, ce train commode qui reliait des gens et des régions, celui-là qui nous faisait rêver et voyager; n’essayez pas de le prendre, il a disparu. Nos rails ne sont plus au service des gens, ils sont au service du pétrole. Au Canada, il faut être un baril pour voyager en train. Au Canada, de toute manière, il faut être un orignal ou un anthropologue pour faire un croche par Gogama. 
       La communauté des Anishinabes (algonquins ojibways) de Mattagami vit sur les rives du lac du même nom, dans le nord de l’Ontario. Le toponyme est identique – à un «t» près – à celui du lac Matagami en Abitibi et il signifie «rencontre des eaux» dans les langues algonquiennes. Le beau lac se décharge dans la rivière appelée aussi Mattagami qui, elle, s’en va rejoindre la rivière Moose vers la baie James. Oui, une région magnifique ! Les Anishinabes du lac Mattagami ont signé le Traité numéro 9 en 1905. Contre des promesses faites par des fonctionnaires à la langue plus que fourchue, dont le fabuleux Duncan Campbell Scott, grand mépriseur d’Indiens et longtemps chef des Affaires indiennes du Canada, ils ont cédé leurs terres ancestrales du nord de l’Ontario aux bons soins du gouvernement fédéral.  Durant le XXe siècle, ils ont vu se construire le chemin de fer du CN ainsi que de nombreux barrages ; ils ont été témoins de l’exploitation très intensive de la forêt, ont vu ouvrir et fermer de grandes scieries, ont connu les feux et les repousses. Près de Mattagami se trouve le village de Gogama qui compte moins de 1 000 résidants regroupés sur les rives du lac Minisinakwa. On parle français  à Gogama, on parle algonquin à Mattagami, et dans les deux cas, on compte sur la beauté de la nature pour assurer l’avenir des communautés. De la pêche, de la chasse, du canot, des lacs et des lacs, de la méditation en forêt boréale. C’est une chose précieuse et rare que de pouvoir respirer en paix dans la paix virginale du monde. 
       Or, imaginez que dans cette paix virginale, un convoi de pétrole déraille et explose. Eh oui, comme c’est arrivé à Gogama, en pleine nuit, on dirait en cachette. Le convoi arrivait de l’Alberta bitumineuse et se rendait à la raffinerie de Lévis. Tout un trajet pour un pareil chargement, cela s’appelle tenter le diable. Les accidents ferroviaires se multiplient et ce n’est pas la première fois que le pire arrive. En matière de transport pétrolier, nous sommes immensément floués. Non, ne comptez plus sur le train pour vous déplacer, ne comptez pas sur lui pour faire partie de la vie. Le train est devenu une ombre noire qui serpente dans nos cours, c’est un serpent toxique, c’est une poudrière de matières dangereuses en mouvement, un poison explosif qui traverse des villages vulnérables et des forêts précieuses. Il est inconcevable d’avoir transformé le réseau ferroviaire canadien en un pipeline sur rail, sans le dire à personne. Il est irresponsable de transporter une telle quantité de pétrole sale dans des wagons-citernes dont on sait qu’ils quittent les rails régulièrement, qu’ils s’éventrent, s’enflamment, qu’ils tuent des gens et noircissent les lieux et les rivières, qu’ils entachent la beauté du monde. 
       Qui, au Canada, connaissait le lac Mégantic avant la tragédie du train fantôme? Qui, au Québec, connaissait Gogama avant le déraillement des wagons de pétrole?  Nous apprenons notre géographie au fil des tragédies. À Gogama, ce ne sont plus les poissons qui sautent, ce sont les trains.

Source : Québec Science http://quebecscience.qc.ca/accueil

(1) Diplômé de l'Université McGill (à Montréal) et de l'Université Laval (à Québec), Serge Bouchard est d'abord chercheur dans le domaine de la nordicité. Docteur en anthropologie et spécialiste des peuples amérindiens, il a publié plusieurs ouvrages sur la question. Il participe à de nombreux documentaires et émissions de télévision où il donne sa vision anthropologique du monde. Depuis 1998, il anime l'émission Les chemins de travers sur la Première chaîne de Radio-Canada, et depuis 2001, l'émission De remarquables oubliés où il retrace les récits des occultés de l'histoire du Québec, du Canada ou plus largement de l'Amérique française. 
      C’est fou... Après les séries estivales C'est fou le désir, C'est fou la nuit, C'est fou la mémoire et C'est fou la ville, Serge Bouchard et Jean-Philippe Pleau reviennent avec une saison régulière de réflexions et d'idées au cours de laquelle ils se penchent sur plusieurs thèmes avec leur regard singulier (le samedi de 19h à 20h, sur ICI Radio-Canada Première). J’ai appris énormément de choses à les écouter! – archives disponibles sur le site de l’émission.

13 avril 2015

Comme un cancer stade IV

Le manifeste Élan global et les marches en faveur de la protection de notre environnement m’ont rappelé Edward Abbey. En fouillant ses ouvrages sur Internet, j’ai trouvé cette image... (Auteur : Dominic) 

«La croissance infinie est impossible dans une biosphère dont les ressources sont limitées et en déclin. Celles et ceux qui prétendent le contraire prônent la pensée magique. La lucidité scientifique impose notre réveil. Elle en appelle à une grande transition écologique de notre économie. (...) Quel est ce monde où la création de richesses s’appuie sur l’éradication de la vie? Nous sommes les dernières générations à pouvoir empêcher l’irréparable. Nous ne serons pas complices de l’implacable destruction de notre avenir. À ce stade de notre histoire, notre inaction est devenue le symptôme de notre échec moral.» (Extrait du manifeste)

-------

«Nous avons besoin de la nature, que nous y mettions le pied ou non. Il nous faut un refuge même si nous n'aurons peut-être jamais besoin d'y aller. Je n'irai peut-être jamais en Alaska, par exemple, mais je suis heureux que l'Alaska soit là. Nous avons besoin de pouvoir nous échapper aussi sûrement que nous avons besoin d'espoir; sans cette possibilité, la vie urbaine pousserait tous les hommes au crime ou à la drogue ou à la psychanalyse.» [On peut cocher, c'est fait...!]

«Un homme à pied, à cheval ou à vélo voit plus, sent plus et savoure plus de choses en un seul mile qu'un touriste à moteur en cent milles.»

~ Edward Abbey (1927-1989)

À la fin des années cinquante Edward Abbey travaille au Parc national des Arches, au coeur de l'Utah. Lorsqu'il y retourne une dizaine d'années plus tard, il constate que le «progrès» est passé par là : des sentiers caillouteux ont été goudronnés, des parkings aménagés, et des distributeurs automatiques de boissons gazeuses installés. «Tout système économique qui ne peut que ‘croître ou mourir’ est traître à tout ce qui est humain. L'esprit pionnier associé à la prise de possession et à la domestication de l'environnement  détruit le monde. Et le pionnier appelle son oeuvre ‘civilisation’

«La plupart des choses dont je parle ont déjà disparu. Ce n'est pas un guide de voyage, c'est une élégie que je vous donne à lire. Un tombeau...»

Désert solitaire, Edward Abbey; traduction : Jacques Mailhos; Gallmeister, 2010

Une apologie de la vie sauvage du Sud-ouest étasunien, un pamphlet politique «vert», une exhortation à une remise en question de notre modèle économique, publié la première fois en 1968 (Desert Solitaire: A Season in the Wilderness). Nous n’avons pas ‘entendu’ le cri d’alarme et ne l’entendons toujours pas. «Ne vous découragez pas, conclut Abbey, le Christ aussi a échoué.»


Sentiment without action is the ruin of the soul. ~ Edward Abbey
Image : John Baustein

Le dernier livre d’Edward Abbey :


I picked up Abbey's final book again yesterday, "A Voice Crying in the Wilderness," written as he was dying, small, containing mostly one-liners plucked from his journals as a way of summation – by no means his greatest work.

On Philosophy, Religion and So Forth: "Whatever we cannot easily understand we call God; this saves much wear and tear on the brain tissues," and "Belief? What do I believe in? I believe in sun. In rock. In the dogma of the sun and the doctrine of the rock. ...

Life and Death and All That: "Men have never loved one another much, for reasons we can readily understand: Man is not a lovable animal." ...

On Writing, Etc.: "Our suicidal poets (Plath, Berryman, Lowell, Jarrell, et al.) spent too much of their lives inside rooms and classrooms when they should have been trudging up mountains, slogging through swamps, rowing down rivers. The indoor life is the next best thing to premature burial."

Music: "The best argument for Christianity is the Gregorian chant. Listening to that music, one can believe anything – while the music lasts."

On Nature: "I come more and more to the conclusion that wilderness, in America or anywhere else, is the only thing left that is worth saving."

Source: Frank D. Myers, Chariton, Iowa, United States (lucascountyan.blogspot.ca)