2 septembre 2013

Un Décalogue Libéral



Un Décalogue Libéral
Par Bertrand Russel (1872-1970)

Peut-être que l'essence de la perspective libérale pourrait se résumer dans un nouveau Décalogue, non pas pour remplacer l'ancien, mais seulement le compléter. Les Dix Commandements que, à titre d’enseignant, je souhaiterais promulguer, pourraient s’énoncer comme suit :

1. Ne soyez pas absolument sûr de quoi que ce soit.

2. Ne pensez pas qu’il vaille la peine de dissimuler une preuve, car la preuve sera certainement découverte.

3. N’essayez jamais de décourager la réflexion car vous êtes sûr de réussir.

4. Lorsque vous faites face à de l'opposition, qu’elle vienne de votre conjoint ou de vos enfants, efforcez-vous de la surmonter par l’argumentation plutôt que l'autorité, car la victoire obtenue par le pouvoir est irréelle et illusoire.

5. N'ayez aucun respect pour l'autorité d'autrui, car on trouve toujours des autorités contraires.

6. N’utilisez pas le pouvoir pour réprimer les opinions que vous trouvez pernicieuses, car si vous le faites, les opinions vous supprimeront.

7. N'ayez pas peur d'avoir des opinions excentriques, car chaque opinion maintenant admise fut d’abord excentrique.

8. Trouvez davantage de plaisir dans la dissidence intelligente que dans l'accord passif, car, si vous valorisez l’intelligence comme il se doit, la première [option] sous-entend un acquiescement plus profond que la seconde.

9. Soyez scrupuleusement honnête, même si la vérité est gênante, car il est plus gênant d’essayer de la dissimuler.

10. N’enviez pas le bonheur de ceux qui vivent dans un paradis de fous, car seul un fou peut penser que c'est le bonheur.

The Autobiography of Bertrand Russell (1969)


Pourquoi je ne suis pas chrétien
Extrait de la conférence du 6 mars 1927 à Battersea sous les auspices de la South London Branch of the National Secular Society

La crainte : base de la religion

La religion est fondée d’abord et surtout sur la crainte. C’est en partie l’effroi devant l’inconnu et en partie le désir de sentir qu’une sorte de frère aîné se tiendra à vos côtés quant vous aurez des soucis ou des conflits. La crainte est au départ de cette affaire – crainte de l’échec, crainte de la mort. La crainte engendre la cruauté. Aussi n’est-il pas étonnant de voir la cruauté et la religion aller de pair. La crainte est à la base de l’une et de l’autre. En ce monde, nous commençons à comprendre les choses, à les maîtriser un peu à l’aide de la science – qui s’est frayée peu à peu un chemin malgré l’opposition de la religion chrétienne, des Églises en général, et de toutes les superstitions. La science peut nous aider à surmonter cette lâche crainte au sein de laquelle l’humanité a vécu pendant tant de générations. La science peut nous enseigner, et je pense que notre propre cœur peut nous enseigner aussi à ne plus rechercher autour de nous des appuis imaginaires, à ne plus nous forger des alliés dans le ciel, mais plutôt à concentrer nos efforts ici bas afin de faire de ce monde un lieu où l’on puisse vivre convenablement, contrairement à ce qu’ont fait les Églises au cours des siècles.

Ce que nous devons faire

Nous voulons demeurer debout par nos propres moyens et regarder franchement le monde, ses hauts faits, ses bassesses, ses beautés et ses laideurs; voir le monde tel qu’il est, sans avoir peur. Conquérir le monde par l’intelligence et non pas être soumis comme des esclaves par suite de la terreur qu’il fait naître. Toute la conception de Dieu est une conception tirée du vieux despotisme oriental. C’est une conception absolument indigne d’hommes libres. Quand je vois des gens qui se courbent à l’église en confessant qu’ils sont de misérables pécheurs, et tout ce qui s’ensuit, je juge cela méprisable, indigne du respect qu’on se doit à soi même. Nous devons au contraire nous redresser et regarder le monde bien en face. Nous devons faire du mieux que nous pouvons en ce monde, et s’il n’est pas aussi bon après nous que nous l’avons désiré, il sera malgré tout encore meilleur que ce qu’en ont fait les autres dans le passé. Un monde à notre mesure exige du savoir de la bonté et du courage ; il n’exige pas une intense nostalgie du passé, ni que la libre intelligence subisse les entraves imposées par les formules qu’inventèrent autrefois des ignorants. Il exige une perspective d’avenir dégagée de toute crainte et une vue claire des choses. Il exige l’espoir en l’avenir et qu’on ne se retourne pas sans cesse vers un passé mort, qui, nous en sommes sûrs, sera de beaucoup surpassé par l’avenir que notre intelligence est capable de créer.

~ Bertrand Russel

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Livre recommandé :
 
Pourquoi je ne suis pas chrétien - Et autres textes
Bertrand Russell
Traduit de l’anglais par Guy Le Clech
Préface de Normand Baillargeon
Éditions Lux; 2011

«Je considère sans exception les grandes religions du monde comme fausses et néfastes ». Ainsi s'exprime Bertrand Russell, ce Voltaire anglais pour qui les religions sont des institutions cruelles, cultivant la peur et l'ignorance. Dans les trois essais publiés ici, les thèmes phares du christianisme en matière de moeurs sont l'objet d'une critique férocement éclairée. Le ton est léger, car souvent un bon sens bien affûté suffit à faire tomber des pans entiers de la morale chrétienne.

À cet obscurantisme, le mathématicien oppose une éducation fondée sur la science, le rationalisme et la liberté des moeurs, dont la vocation est de former des esprits indépendants. À l'heure où la droite moralisatrice gagne partout du terrain, menaçant les libertés laborieusement acquises au XXe siècle, on ne peut que conclure avec Bertrand Russell : «Y a-t-il mieux à proposer pour remplacer ce mélange antiscientifique de prédication et de corruption? Je le pense».

Mathématicien et philosophe, Bertrand Russell (1872-1970) est considéré comme le fondateur de la logique moderne. Son engagement humaniste lui vaut d'être incarcéré à plusieurs reprises. Il lutte aux côtés d'Albert Einstein contre la bombe atomique, puis de Jean-Paul Sartre contre la guerre du Vietnam. Son œuvre fut couronnée par le prix Nobel de littérature en 1950.

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