11 janvier 2016

Lois absurdes

Il fut un temps où la tentative de suicide était passible de la peine de mort (post-mortem s’il y avait lieu). !!! L’avantage était qu’en bout de ligne (ou de corde) la personne avait atteint son but. 


Avec une troisième chimio et un peu de chance, elle aura peut-être trois mois supplémentaires de belles expériences de vie...

Non mais, allons-nous cesser de tergiverser?

Le dossier de l'aide médicale à mourir risque de stagner : le gouvernement fédéral demande à la Cour suprême du Canada d’accorder à Ottawa une période de six mois pour mettre sur pied une législation pancanadienne. 
   En février 2015, les juges avaient rendu une décision unanime, invalidant notamment l'article 14 et l'alinéa 241 b) du Code criminel (est coupable d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de quatorze ans quiconque, selon le cas, aide ou encourage quelqu'un à se donner la mort, que le suicide s'ensuive ou non) qui interdisent à un médecin d'aider quelqu'un (dans des circonstances précises) de s'enlever la vie. Ils avaient accordé 12 mois au gouvernement fédéral pour offrir une réponse législative respectant le droit, pour les adultes consentants aux prises avec des souffrances physiques ou mentales intolérables, de demander l'aide de leur médecin pour mettre fin à leurs jours. 
   Si le sursis de six mois est accordé, les malheureux patients devront encore attendre.

Certains médecins continuent à diaboliser l’aide médicale à mourir. En revanche, ils permettent aux patients de se suicider par refus de traitements, médicaments et nourriture – beaucoup de souffrance et une agonie pouvant durer jusqu’à deux semaines et plus. Sadique, non? Pourquoi agissent-ils de la sorte? Parce qu’ainsi le malade assume l’entière responsabilité morale de son acte. Les médecins peuvent s’en laver les mains au Purell tout en les regardant agoniser.
   Le respect de l’autonomie de la personne, en droit, a justifié la dépénalisation du suicide (ou tentative de). Cette décision des législateurs ne préjuge pas de la moralité du geste, elle implique seulement que, pour autant qu’elle soit seule en cause, toute personne doit pouvoir juger en toute conscience si elle peut mettre fin à ses jours; et la société doit respecter sa décision. Sans la dépénalisation de l’aide médicale à mourir les patients incapables de se suicider en raison de leur incapacité physique restent indéfiniment prisonniers de leurs corps, cloués à leurs grabats. On appelle ça vivre...

«Vivre est un droit, non pas une obligation.» ~ Ramon Sampedro
(Du film Mer intérieure, basé sur un fait vécu; il s’agit d’un plaidoyer en faveur du libre arbitre face au droit de mourir quand on ne peut ou ne veut plus vivre; et d'avoir de l'aide, médicale ou autre -- amis, famille...)

Le pire argument invoqué contre l’aide médicale à mourir est cette peur irrationnelle des dérapages. Le personnel médical se mettra-t-il soudain à assassiner tous les handicapés mentaux/physiques, les séniors et les malades incurables – sans leur consentement ou celui de leur famille? Une sorte d’eugénisme nazi? Je ne dis pas que la possibilité n’existe pas, il y a des médecins malveillants et l’on sait que les humains sont capables des pires ignominies. Cependant, selon ce que j’ai vu dans les foyers d’accueil pour personnes en grave perte d’autonomie, l’expérience nazie consiste à utiliser les hébergés comme cobayes (sans leur consentement) pour tester des traitements et des médicaments (tranquillisants, anxiolytiques, antidouleurs...) et étudier la démence et la maladie d’Alzheimer. Je me croyais parfois au milieu d’un zoo ou d’un laboratoire de vivisection – à la différence que les chimpanzés étaient des humains. Et il est faux de dire qu’on réussit à éliminer complètement les souffrances physiques, encore moins les souffrances psychologiques; j’en ai été témoin. Aucun médicament ne soulage un malade de 90+ affligé d’arthrose et de démence. L’efficience en soins palliatifs tient à l’administration graduelle de bonnes doses de morphine jusqu’à la dose létale (la phase 4 qu'un patient en CHSLD a pu signer en toute conscience mais qui en général ne sera pas respectée, même avec un mandat d'inaptitude et un testament biologique bétonnés).

Ceux qui sont contre l’aide médicale à mourir n’ont qu’à s’en abstenir, c'est simple. Pourquoi priver la majorité de ce droit – près de 80 % de la population est en faveur. La question demeure : à qui appartient ce corps – à Dieu, à l’Église, à l’État, au système médical, etc.?

«Je parie qu’un jour il y aura des manoirs [pour retraités] où chacun pourra choisir à la carte sa façon de crever. Il faut inventer un monde où les gens seront impatients de devenir vieux.» (Film Trois fois 20 ans de Julie Gavras – une manière d’aborder le cap du 60+ avec humour; très drôle en passant)

Il existe des centres de prévention du suicide. Parfait. Mais, il devrait également y avoir des centres d’aide à l’euthanasie volontaire comme dans le film Soleil vert (1). Ce qui pourrait résoudre nombre de problèmes éthiques et moraux – il est évident que seules les personnes vraiment désireuses de se suicider s’y présenteraient. Ce qui ne signifie pas que tout le monde s’y précipiterait, loin de là. Car comme le disait Guy Bedos, «Le suicide, c’est l’ultime expression de la liberté. De savoir que l’on peut choisir sa mort, ça aide à vivre.»

À lire (interview) :
Le plaidoyer de Denys Arcand pour l’aide médicale à mourir 
http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2015/12/11/002-aide-medicale-mourir-euthanasie-denys-arcand-invasions-barbabres.shtml

Extrait : 
   Q. : On m'a déjà dit que la mort est une expérience enrichissante pour nos proches. Vous croyez à ça, vous? 
   D.A. : Non, pas du tout. Cela étant dit, les lois qui s'en viennent ne sont pas coercitives. Si vous voulez mourir et vous rendre à votre dernier souffle, libre à vous. Et si moi j'ai une autre idée, vous ne pouvez pas m'en empêcher. 
   J'ai assisté à plusieurs morts, étant un peu vieux. Et non, ça ne m'a rien appris, sinon que dans bien des cas, les gens mouraient dans des souffrances épouvantables et que je ne voyais pas de raison de prolonger ces souffrances comme la médecine voulait le faire, c'est
tout.
   Et ce n'est pas enrichissant de voir souffrir son grand-père comme un chien dans un lit pendant des mois et des mois sous prétexte que ça va faire quoi? Enrichir qui, moi? Non, ça ne m'enrichit pas. J'espérerais mettre fin à ses douleurs et la loi ne me le permettait pas. Donc je n'ai rien appris du tout.

 
Si vous vous avez accès à la zone, voici l’interview d’Alain Crevier avec Denys Arcand à Second regard (à l’origine de l’article) :

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«Si nous mourons vieux, nous mourons comme l’arbre sans feuilles et sans oiseaux.» ~ Jacques Jaujard (1895-1967)

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En conclusion : le gros bon sens d’Hector Berlioz (1803-1869)

L'inutile torture

Les choses et les hommes changent cependant, il est vrai, mais si lentement que ce n’est pas dans le court espace de temps embrassé par une existence humaine que ce changement peut être perceptible. Il me faudrait vivre deux cents ans pour en ressentir le bienfait. 
   J’ai perdu ma sœur aînée, Nanci. Elle est morte d’un cancer au sein, après six mois d’horribles souffrances qui lui arrachaient nuit et jour des cris déchirants. Mon autre sœur, ma chère Adèle, qui s’était rendue à Grenoble pour la soigner et qui ne l’a pas quittée jusqu’à sa dernière heure, a failli succomber aux fatigues et aux cruelles impressions que lui a causées cette lente agonie. 
   Et pas un médecin n’a osé avoir l’humanité de mettre fin à ce martyre, en faisant respirer à ma sœur un flacon de chloroforme. On fait cela pour éviter à un patient la douleur d’une opération chirurgicale qui dure un quart de minute, et on s’abstient d’y recourir pour le délivrer d’une torture de six mois. Quand il est prouvé, certain, que nul remède, rien, pas même le temps, ne peut guérir un mal affreux; quand la mort est évidemment le bien suprême, la délivrance, la joie, le bonheur!... 
   Mais les lois sont là qui le défendent, et les idées religieuses qui s’y opposent non moins formellement. 
   Et ma sœur, sans doute, n’eût pas consenti à se délivrer ainsi si on le lui eût proposé. «Il faut que la volonté de Dieu soit faite.» Comme si tout ce qui arrive n’arrivait pas par la volonté de Dieu... et comme si la délivrance de la patiente, par une mort douce et prompte, n’eût pas été aussi bien le résultat de la volonté de Dieu que son exécrable et inutile torture... 
   Quels non-sens que ces questions de fatalité, de divinité, de libre arbitre, etc. !! c’est l’absurde infini; l’entendement humain y tournoie et ne peut que s’y perdre. 
   En tout cas, la plus horrible chose de ce monde, pour nous, êtres vivants et sensibles, c’est la souffrance inexorable, ce sont les douleurs sans compensation possible arrivées à ce degré d’intensité; et il faut être ou barbare ou stupide, ou l’un et l’autre à la fois, pour ne pas employer le moyen sûr et doux dont on dispose aujourd’hui pour y mettre un terme. Les sauvages sont plus intelligents et plus humains.

(Mémoires de Hector Berlioz; chap. LIX)

Commentaire : 150 ans plus tard, on n’est pas plus avancé!

Dans la veine : libellé Euthanasie
  

Sol Roth au Foyer (mourir en Imax) Soylent Green  

(1) Le film Soylent Green s’inspire du roman Make Room! Make Room! de Harry Harrison; il est sorti en 1973. En 2016, ce n’est plus de la science fiction en bien des villes surpeuplées du globe où le ciel est brun :
   L'action se déroule en l'an 2022 à New York qui est devenue une mégapole de 44 millions d'habitants. Il règne en permanence une température élevée, soit plus de 30 °C. L'eau est rare. La faune et la flore ont quasiment disparu. La nourriture issue de l'agriculture également. La plupart des habitants n'ont pas les moyens d'acheter des aliments naturels, les prix étant exorbitants. Ils en sont réduits à manger des produits de synthèse, fournis par la multinationale agroalimentaire «Soylent Corporation», des tablettes de forme carrée, jaunes ou rouges. Un nouvel aliment vient d'être lancé, le soylent green *, beaucoup plus nutritif, prétendument à base de plancton. Dispendieux, il est disponible uniquement le mardi : ce jour-là, les émeutes de citoyens affamés ne sont pas rares et sont sévèrement réprimées. Sol Roth, un vieil érudit qui vit dans un appartement minable, peste contre l'état du monde et a la nostalgie du passé tandis que son ami et colocataire Robert Thorn, un enquêteur policier, se contente des seules choses qu'il a connues, à savoir la nourriture synthétique et la canicule perpétuelle. Un jour, Roth décide alors d'aller au Foyer, endroit où l'on se fait euthanasier. Thorn arrive trop tard pour l'en empêcher mais réussit à assister aux dernières minutes de son ami : sur un immense écran, il voit défiler, en écoutant un extrait du 1er mouvement de la Sixième symphonie de Beethoven (la Pastorale), les images de ce qu'était la Terre autrefois, des paysages magnifiques, la vie sauvage, la beauté de la nature. https://fr.wikipedia.org/wiki/Soleil_vert  

* Appelé «Soylent steak» dans le livre de Harrison, et fabriqué à partir des cadavres des humains euthanasiés. Monsanto serait bien capable de nous concocter ça...

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