29 septembre 2015

Les enfants comme enjeu dans la violence familiale


30.09.15, en complément :

La violence conjugale
Un mal qui frappe derrière les portes closes

La violence conjugale n’est pas un comportement nouveau dans notre société. Elle existe depuis toujours, c’est un mal qui frappe derrière les portes closes de l’intimité des gens. Ce qui est nouveau, c’est qu’on en parle. Ce qui est récent, c’est qu’on la dénonce. En 30 ans à peine, la violence est passée d’une affaire privée à une cause publique, qui laisse des marques, qui trouble, qui frappe…

30 secondes
pour changer le monde

Production 2013 

Si vous avez accès à la zone de Télé Québec, la série est toujours en ligne :
un documentaire (épisode complet de 45 minutes) et une série de clips de sensibilisation, période de 1987 à 2011.
http://30secondespourchangerlemonde.telequebec.tv/causes/la-violence-conjugale

Mise en garde : les images sont très dures et explicites. Bien sûr les téléséries et le cinéma en diffusent  en masse au point de banaliser, mais ces clips ont plus d’impact car on peut facilement les raccrocher à la réalité ordinaire vécue dans bien des foyers.

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Je trouve horrible qu’Isabelle Gaston soit contrainte de revivre le drame à cause du verdict de 2011, apparemment influencé par les évaluations psychiatriques. Si Guy Turcotte n’avait pas été un «notable» pouvant bénéficier de la connivence de collègues psychiatres, il se serait sans doute retrouvé derrière les barreaux à vie, comme n’importe quel autre criminel du genre. Mis à part les cas de légitime défense, tous les tueurs ne souffrent-ils pas de troubles mentaux? Pourquoi certains individus seraient-ils épargnés de la sentence en vigueur dans notre système de justice? 

     Rappelons que l’ex-cardiologue était accusé du meurtre prémédité de ses deux jeunes enfants. Le drame était survenu trois semaines après sa séparation d'avec Isabelle Gaston, la mère des enfants. Au terme du procès le jury a décidé que Guy Turcotte était criminellement  non responsable en raison de troubles mentaux : les psychiatres avaient déclaré qu’il souffrait d'un trouble de l'adaptation avec anxiété et humeur dépressive. Le verdict a soulevé beaucoup de controverse, si bien qu’en 2013, la Cour d'appel a décidé d'infirmer le verdict de non-responsabilité criminelle et ordonné la tenue d'un nouveau procès (2015).

À mon avis, le verdict de non-responsabilité criminelle en raison de troubles mentaux invite implicitement tous les individus violents à passer à l’acte. En lisant la chronologie de l’affaire http://www.lapresse.ca/actualites/dossiers/affaire-guy-turcotte/201106/30/01-4413963-chronologie-de-laffaire-guy-turcotte.php on voit bien que Turcotte présentait des caractéristiques comportementales similaires à celles du pervers narcissique ou du psychopathe – ces individus n’acceptent pas le rejet, ne sont jamais coupables de rien et chercheront à se venger s’ils ont l’impression d’avoir été trahis ou lésés. Selon une étude américaine de Crawford et Gartner de 1992, 45% des meurtres de femmes étaient provoqués par la fureur de l’homme s’estimant abandonné par sa partenaire.

Cette histoire me rappelle étrangement l’affaire Jean-Claude Romand rendue célèbre par le roman L’Adversaire d'Emmanuel Carrère (2000) et le film du même nom (2002). Le meurtrier est connu pour avoir menti à ses proches sur sa vie réelle pendant 18 ans en s'inventant une profession de médecin et de chercheur et pour avoir assassiné sa femme, ses enfants et ses parents en janvier 1993, car ils étaient sur le point de découvrir la vérité. Personne ne doutait du «bon docteur» au comportement irrépréhensible et aimé de tous. Un pervers narcissique atteint de mélancolie selon les psychiatres de l’époque.

J’ai regroupé plusieurs liens d’articles pouvant éclairer les gens qui ont des doutes au sujet de membres de leur entourage, hommes ou femmes, car la violence et la perversion n’ont pas de sexe. Je recommande encore une fois tous les ouvrages de Marie-France Hirigoyen (docteur en médecine, psychanalyste, psychothérapeute familiale spécialisée en victimologie) : http://www.mariefrance-hirigoyen.com/

Quelques extraits de son livre Femmes sous emprise, les ressorts de la violence dans le couple (les passages en gras sont de mon initiative) : 

(Introduction, p. 7-16)
On n’a jamais autant parlé de la violence, jamais autant invité à la débusquer et à la combattre, et pourtant, si on considère la littérature psychiatrique générale, il est surprenant de constater qu’il existe peu d’écrits sur celle qui s’exercice dans le couple. Même si elle a toujours existé, on aurait pu croire qu’avec la montée du féminisme les choses évoluent et qu’une plus grande égalité entre les hommes et les femmes entraînerait moins de violence. Il n’en est rien. 
     De même, un certain adoucissement des mœurs dans nos sociétés occidentales aurait dû rendre plus sensible à ce phénomène; des choses naguère permises sont aujourd’hui interdites. Cependant, la violence n’a pas disparu, elle s’est seulement faite plus subtile. Partout on la condamne, mais cette condamnation morale de principe ne touche que sa part visible. Derrière un pacifisme et même un évangélisme de façade, nous laissons se perpétuer des violences majeures pour peu qu’elles ne concernent que les plus vulnérables, à savoir les femmes et les enfants. D’une façon générale, la violence est difficile à penser, ce qui explique que nous ayons du mal à la repérer. Nous ne voulons pas la voir en nous, même si accepter cette ambivalence nous permettrait de mieux la combattre. Malgré notre vigilance, nous ne voyons, la plupart du temps, qu’après coup ses premiers signes. 
     En ce qui concerne les couples, ce problème est encore plus dérangeant. Nous avons du mal à croire que cette violence ordinaire se produit dans des familles ordinaires, que les hommes violents ne sont pas uniquement des brutes avinées. On préférerait reléguer cette problématique aux marges, l’attribuer aux classes sociales défavorisées. Or, il existe des individus violents dans tous les milieux. Nous avons du mal à croire, aussi, lorsque la violence est l’œuvre d’un notable, comme un magistrat ou un médecin, on préfère alors mettre en doute le témoignage de la victime. La violence au sein d’un couple nous touche de si près que la plupart des réactions aux récits qu’en font les victimes sont excessives, soit dans le sens de la banalisation, soit dans le sens de la médiatisation outrancière. [...]

[...] Dans la réalité, il est impossible de faire une distinction entre violence psychologique et violence physique car, quand un homme tape sa femme, son intention n’est pas de lui mettre un œil au beurre noir, mais de lui montrer que c’est  lui qui commande et qu’elle n’a qu’à bien se tenir. L’enjeu de la violence est toujours la domination. 
     Dans la maltraitance conjugale, les attaques psychologiques sont les plus dangereuses; elles font tout aussi mal que les agressions physiques et ont des conséquences plus graves, toutes les victimes le disent. Il y a d’ailleurs des formes de violence où le partenaire, sans porter le moindre coup, réussit à détruire l’autre (1).

[...] Comprendre pourquoi on tolère un comportement intolérable, c’est aussi comprendre comment on peut en sortir. C’est par une compréhension fine des ressorts de la violence qu’elles subissent que les femmes se dégageront de l’emprise qui les paralyse et que notre société pourra mettre en place une prévention.

(L’importance de la prévention, p. 282-286)
... C’est l’éducation qui peut nous apprendre à contenir notre agressivité naturelle et à ne pas la transformer en violence. En tant que parents, nous devons apprendre à nos enfants à ne pas utiliser la violence dans la résolution des conflits, en leur offrant un modèle de respect mutuel. L’éducation ne doit pas placer la domination comme valeur principale dans le rapport avec l’autre. Il faut apprendre aux jeunes à résoudre les conflits de façon pacifique, leur apprendre la tolérance et l’égalité. 
     Beaucoup de parents ne savent pas quelle limite donner à leurs enfants. Ils confondent violence et expression de l’agressivité. Il est normal qu’un enfant soit jaloux, agressif mais, plutôt que de l’amener à réprimer ses sentiments, il vaut mieux lui apprendre à contrôler ses comportements. En quelque sorte : «Tu as le droit d’être furieux contre ta sœur, mais ce n’est pas une raison pour la taper!» [...
      N’oublions pas que toutes les formes de violence sont liées : violence et intimidations dans les écoles, violence conjugale avec ses répercussions sur les enfants, violence au travail qui servira parfois de prétexte pour justifier la violence conjugale. Lutter contre un mode de violence, c’est aussi prévenir les autres violences. 
      Moins un phénomène est reconnu socialement, plus il est difficile d’en parler. Il faut donc nommer la violence et apprendre à la repérer même dans ses formes subtiles. Faire passer des messages forts auprès des femmes, pour qu’elles mettent des limites : exigez le respect, n’acceptez pas la violence, sortez de l’isolement si vous pensez être victime, faites-vous aider, parlez-en à votre famille ou à une association. [...
     On ne peut pas changer du jour au lendemain les mentalités, mais on peut, petit à petit, écorner les mythes et les préjugés par un travail de sensibilisation, d’information et d’éducation, favoriser le non-sexisme, responsabiliser les hommes et la société tout entière.

(Conclusions, p. 289-291)
Notre société a changé pour le meilleur et pour le pire car il se crée tous les jours de nouvelles formes de domination. Si on veut que la violence disparaisse dans nos familles, il faudrait que le groupe social lui-même ne perpétue pas le schéma domination/soumission à tous les niveaux. Or nous sommes dans un monde où chacun peut avoir la tentation de dominer l’autre, dans une société qui n’accepte que les gagnants, ce qui n’aide pas les hommes à lâcher le pouvoir qui leur reste. Dans le monde du travail on valorise celui ou celle qui sait s’imposer sans état d’âme, et petit à petit la figure du narcissique ou même du pervers narcissique, qui saura manipuler de façon à être le plus fort, devient la référence. Les exigences de performance et de réussite individuelle sont de plus en plus mises en avant, et dans les familles, on constate de moins en moins d’interdits et de limites, mais en revanche les exigences individuelles augmentent. [...
     Une société responsable doit agir en donnant aux femmes les moyens de dénoncer, de se protéger et de protéger leurs enfants. Elle doit leur donner des conditions économiques et sociales qui leur permettent de sortir de leur situation et de retrouver un emploi. [...] 
     Malgré des avancées en terme de prise de conscience et de décisions politiques, il reste des lacunes à combler. Qu’il y ait une réponse judiciaire est indispensable, mais c’est insuffisant. Des actions doivent être menées non seulement auprès des victimes et des individus violents, mais il importe également de sensibiliser les professionnels de l’enfance, les enseignants et les travailleurs sociaux au problème des enfants exposés aux violences dans le couple. Si on ne veut pas que s’installent des comportements violents, c’est à ce stade précoce qu’il faut intervenir, afin d’élargir à une vraie prévention.

Les violences conjugales ont un impact sur la santé des femmes et des enfants, et, à ce titre sont un enjeu de santé publique mais c’est aussi un enjeu de la société tout entière et des valeurs que celle-ci veut prôner. Des comportements qui mettent à mal la dignité des personnes ne sauraient être banalisés ou considérés comme de simples affaires privées. Si nous voulons que cette société soit faite d’individus responsables, il s’agit de modifier les valeurs sociales afin de construire une société plus égalitaire et plus respectueuse.

(Annexes, p. 298-300)
Une femme sur 4 a subi de la violence de la part de son partenaire actuel ou précédent et, dans 20% des cas, cette violence a commencé pendant la grossesse. Selon le Conseil consultatif canadien sur la situation des femmes, 18% des femmes qui se présentent aux urgences des hôpitaux seraient des victimes de violence conjugale. Chaque année, en moyenne, 20 Québécoises sont assassinées par leur conjoint. (Centre canadien de la statistique juridique) [...]

Lors des enquêtes, il apparaît clairement que la violence psychologique est identifiée par les femmes comme faisant partie de la violence conjugale. Cela débute par du non-verbal, se poursuit par des insultes pour aboutir à la violence physique ou la mort.

(1) Isabelle Gaston dans son témoignage aujourd’hui, affirmait que Guy Turcotte n’avait jamais battu ses enfants et qu’il s’en occupait bien. Comment aurait-elle pu alors soupçonner que le «bon père» en vienne à commettre ce crime? Par contre, il usait de violence psychologique à son endroit, notamment le dénigrement constant.
     6 octobre 2015 -- L'infirmière Chantal Duhamel, qui était de garde lorsque Turcotte a été conduit aux urgences après le drame, a témoigné aujourd'hui. Selon elle, Turcotte ne délirait pas et il aurait dit: "J'ai tué mes enfants. Je ne voulais pas les voir souffrir de la séparation. J'aimerais que tu dises à Isabelle que j'ai fait ça pour la faire chier. J'ai voulu lui enlever ce qu'elle avait de plus cher." Pas besoin d'être psychiatre pour comprendre qu'il s'agit d'un psychopathe. Franchement...

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La violence familiale au Canada : un profil statistique, 2013 
Diffusion : 2015-01-15

Selon les données déclarées par la police, un peu moins de 88 000 personnes ont été victimes de violence familiale au Canada en 2013. Ces affaires représentaient plus du quart des crimes violents signalés à la police. Un peu moins de la moitié (48%) des victimes de violence familiale ont été agressées par leur conjoint actuel ou un ex-conjoint. L'auteur présumé était un parent de la victime dans 17% des affaires, un membre de la famille élargie comme une tante, un oncle, un grand-parent ou un membre de la belle-famille de la victime dans 14% des affaires, un frère ou une sœur de la victime dans 11% des affaires, et un enfant de la victime dans 10% de celles-ci. 
     La majorité des affaires de violence familiale déclarées par la police comportaient des voies de fait, ce qui comprend des gestes et des comportements tels que le fait de pousser une personne, de la gifler, de la frapper à coups de poing et de proférer des menaces face à face. Les données policières révèlent également que près de 7 victimes de violence familiale sur 10 étaient de sexe féminin. En comparaison, 46% des victimes de crimes violents qui n'ont pas été commis dans la famille étaient de sexe féminin. La surreprésentation des victimes féminines est plus marquée dans la catégorie de la violence conjugale, où près de 8 victimes sur 10 étaient des femmes. Près de 80% des victimes d'actes de violence aux mains d'un partenaire intime qui ont été signalés à la police étaient des femmes.

Liens d’appoint :

Selon des psychologues en centres d’accueil pour victimes de violence conjugale, Guy Turcotte est apparemment devenu un modèle pour certains individus qui terrorisent leurs conjointes en menaçant de tuer leurs enfants :

http://situationplanetaire.blogspot.ca/2014/12/femmes-et-enfants-en-otage.html 
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2014/12/derriere-la-haine-la-colere-et-la.html

http://artdanstout.blogspot.ca/2015/02/le-psychopathe-da-cote.html
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2014/11/detecter-les-psychopathes-snakes-in.html
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2013/04/la-communication-perverse.html
http://situationplanetaire.blogspot.ca/2012/11/de-gentils-manipulateurs-1.html

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