14 décembre 2012

Retour d’ascenseur

All gone! 
 
Intéressant et effrayant de voir comme l’histoire se répète fidèlement
 
Source :
Le Principe de Lucifer  
Une expédition scientifique dans les forces de l’histoire
Howard Bloom
Le Jardin des Livres

Une place au sommet de l’ordre de préséance n’est pas permanente. Le superorganisme dominant s’endort parfois. Il tombe avec suffisance dans le piège fatal, pensant que sa position supérieure est un don de Dieu, que son sort heureux est éternel, que son statut imposant est gravé dans la pierre. Il oublie que tout ordre de préséance est temporaire et ne se souvient plus à quel point la vie peut être affreuse ici-bas. Il doit alors faire face à une désagréable surprise.

Existe-t-il des cultures tueuses?

Il n’y a pas de barbares, mais des cultures barbares. Il y a simplement des cultures que nous n’avons pas pris le temps de comprendre. Des cultures auxquelles nous n’avons pas apporté suffisamment d’aide. Des cultures qui ont besoin de se développer. Sous la peau, les hommes et les femmes sont tous les mêmes. Ils ont les mêmes besoins, les mêmes émotions et les mêmes idéaux. Si vous alliez simplement boire un café avec ces personnes dont vous parles avec mépris, vous découvririez qu’elles sont comme vous et moi.

[Note : dans les extraits suivants, l’auteur brosse un portrait sommaire des hauts et des bas de l’ordre de préséance dans l’histoire de la Chine.] 

Le mystère de la suffisance

Dans un monde où certaines cultures élèvent la violence au rang de vertu, le rêve de paix peut être fatal. Il peut nous faire oublier que nos ennemis sont réels et dissimuler à notre vue les sombres impératifs de l’ordre de préséance superorganismique.

Pendant des milliers d’années la Chine fut un empire d’une taille et d’une stabilité incroyables. Sa technologie et sa richesse suscitait l’envie de ses voisins. Alors que les empereurs romains utilisaient toujours des catapultes mécaniques, les généraux chinois déployaient des mortiers à poudre à canon. Dès le quatrième siècle avant J.C., les princes chinois envoyèrent des armées d’un demi-million d’hommes à la bataille et ces légions étaient équipées de matériel que les Européens de cette époque ne pouvaient même pas imaginer.

Mais les Chinois étaient de temps en temps aveuglés par leur propre puissance. Glissant dans la conviction réconfortante qu’il leur suffisait de souhaiter ne pas avoir de guerre, ils rejetaient l’idée de la venue des barbares. En 280, Wu Ti regarda le colosse qu’il dirigeait et découvrit qu’il avait des problèmes économiques : le commerce stagnait. Les populations étaient pauvres et accablées d’impôts insupportables. La Chine était attirée dans le vide par un poids qui avait grossi telle une tumeur : son budget militaire. Les impôts étaient absorbés par les besoins de la gigantesque armée et la plupart des pièces de monnaie du pays avaient été fondues pour fabriquer des armes, forçant les marchands à abandonner l’argent et à revenir au troc. Il y avait si peu de monnaie disponible que même les bureaucrates du gouvernement devaient être payés en céréales et en soir. Wu Ti décrétât un désarmement général. Le gouvernement espérait que ces anciens fantassins s’installeraient comme fermiers et deviendraient des citoyens imposables, participant au réapprovisionnement des coffres vides de l’administration.

Une fédération de tribus nomades dépourvues de perfectionnements civilisés et du talent pour la créativité technologique propres aux Chinois rôdaient aux frontières du pays. Mais ses chefs avaient étudié toutes les nuances de l’administration, des armes, et de l’art chinois. Et ils possédaient un avantage significatif. Ils n’avaient aucun scrupule à tuer. En réalité c’était leur divertissement favori. Cette constellation tribale s’appelait les Hsiung-nu. Nous les connaissons mieux sous le nom de Huns. Au premier abord, personne ne pouvait croire que les Huns représentaient une menace sérieuse. Leur armée se composait seulement de cinquante mille hommes. Mais en 309, la machine militaire relativement réduite des Huns attaqua la capitale chinoise, Lo-Yang. Les chinois se défendirent avec ténacité, mais ils avaient un sérieux désavantage. S’étant réorganisé en vue de la paix, ils n’étaient plus équipés pour la guerre. Les Huns ont remporté la victoire. Un empire plus grand que tous les états européens réunis était tombé, parce qu’il avait ignoré la menace des barbares. Pendant deux cents ans la Chine fut gouvernée par un groupe barbare puis par un autre.

Au onzième siècle, à nouveau convaincue qu’elle pouvait utiliser sa grande force pour inaugurer une ère de paix, la Chine opta pour la diplomatie et y réussit parfaitement. Elle découvrit qu’il coutait moins cher de faire la paix avec ses ennemis en leur payant des tributs, que d’entretenir une armée éléphantesque, et elle se mit donc à payer ses ennemis. Pour maintenir ces grosses puissances au loin, la Chine se mit insidieusement en coulisses à semer le trouble. Non pas un trouble qui menacerait sa sécurité, mais qui poussait ses ennemis à se chamailler. Après tout, plus ils se querellaient entre eux, moins ils ennuyaient les Chinois. Le plan fonctionna à merveille, si bien que les Chinois tout comme leurs ennemis purent démanteler leurs complexes militaires et injecter l’argent économisé dans l’économie nationale. Ce trésor détourné entraina un élan de prospérité.

Et en 1114, le scénario s’est reproduit avec des hordes de gueux qui rôdaient autour des frontières chinoises…

Pourquoi la prospérité n’entraine pas la paix

Il y a une faille dans notre croyance selon laquelle, grâce à l’élimination de la faim et à l’augmentation des revenus du tiers-monde, la paix s’étendra sur le monde, et que l’éradication de la famine et de la pauvreté fera disparaitre les agressions et les meurtres. L’histoire montre qu’un niveau de vie en hausse et une plus grande assiette de nourriture peuvent être de véritables catalyseurs qui libèrent une tornade de violence!

Robert L. O’Connell, spécialiste de l’histoire militaire, soutient que les périodes d’optimisme et les explosions de créations de nouvelles armes vont de pair. La guerre et le rêve de conquête sont, semble-t-il, moins alimentés par la pauvreté que par le parfum entêtant des nouvelles richesses.

Au douzième siècle, les Mongols étaient un peuple nomade, vivant dans les plaines de l’Asie orientale. Leur économie était basée sur les chevaux. À la fin du douzième siècle et au début du treizième, les Mongols bénéficièrent d’un essor économique : le beau temps augmenta leurs provisions de fourrage, permettant une hausse spectaculaire du nombre de poulains. Interprétant l’augmentation du pâturage comme un signe que Dieu leur offrait le monde entier, ils partirent se livrer à des saccages. En moins de soixante-dix ans, ils conquirent un territoire presque deux fois plus grand que l’Empire romain. Il comprenait la Chine, la Russie, la Perse, la Syrie, l’Irak et des régions de l’Europe de l’Est. Cet empire ne fut pas réuni grâce à leur douce persuasion. Un descendant mongol, Tamerlan, est célèbre pour avoir construit 120 tours avec des têtes décapitées dans l’opulente cité de Bagdad.

Mais pourquoi le carnage suit-il si fréquemment une augmentation du bienêtre? Un indice peut être fourni par cet étrange phénomène : le taux de meurtres s’accroit après une guerre. L’on pourrait penser que cette hausse concerne principalement les nations vaincues, dont les citoyens sont frustrés et serrent les dents face à leur infortune, mais tel n’est pas le cas. Les meurtres augmentent surtout dans les pays vainqueurs. Le phénomène a été observé chez les animaux. Une fois que la bande victorieuse soumet ses rivaux, les membres de la troupe de vaincus luttent moins fréquemment entre eux. Mais à l’intérieur du groupe dominant, qui est en passe d’acquérir de nouveaux espaces, les interactions agressives augmentent. Pourquoi? Selon des études chez les singes, les niveaux de testostérone augmentent chez les vainqueurs et baissent chez les perdants. La testostérone rend les vainqueurs agités, confiants et agressifs. Les stéroïdes pris par les athlètes, par exemple, sont une version synthétique de la testostérone naturelle – élixir par excellence de la bagarre. Ces substances peuvent engendrer une hardiesse qui frôle la folie. La pauvreté rend passif et inerte, mais l’arrivée de la prospérité stimule un vif désir de profiter encore plus de la vie.

[Dernier paragraphe de l’épilogue]

Mais il y a de l’espoir quant au fait que nous nous libèrerons un jour de la sauvagerie. L’évolution a offert une nouveauté à notre espèce : l’imagination. Grâce à ce don, nous rêvons de paix. Notre tâche, la seule peut-être à pouvoir nous sauver, est de transformer ce dont nous rêvons en réalité. Pour façonner un monde où la violence cessera d’exister. Si nous pouvons atteindre ce but, nous pourrons encore échapper à notre destin de progéniture très précaire, de justes héritiers de ce qui est à la fois le plus grand don et la plus infâme malédiction de la Nature, de derniers enfants du Principe de Lucifer.

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