30 avril 2012

Détecter les pervers


Rares sont ceux qui n’ont jamais eu affaire à des manipulateurs dans leurs relations (travail, famille, amitié, couple). Mais, le fleuron haut-de-gamme dans le domaine reste le pervers narcissique – on ne souhaiterait même pas à son pire ennemi de côtoyer ce genre de spécimen.

Or, en écoutant les actualités la semaine dernière, j’étais stupéfaite de voir comme les caractéristiques du pervers narcissique ressemblent à celles des démocraties sur le point de glisser dans l’autarcie.

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Si le sujet vous intéresse, lisez l’ouvrage/source référé à la fin – impressionnante limpidité et précieux conseils pour gérer ce genre de relations destructives. On tombe toujours sur le bon livre, le bon message ou la bonne personne au moment opportun; il suffit d’être alerte, d’écouter et d’agir en conséquence. 

Un aperçu

Le pervers narcissique

Toute personne en crise peut être amenée à utiliser des mécanismes pervers pour se défendre.  Nous avons tous des traits de personnalité narcissique (égocentrisme, besoin d’admiration, intolérance à la critique) sans que ce soit pour autant pathologique. Il nous est tous arrivé de manipuler autrui dans le but d’obtenir un avantage, et nous avons tous déjà éprouvé une haine destructrice passagère.

Ce qui nous distingue des individus pervers, c’est que ces comportements ou sentiments n’ont été que des réactions passagères, et ont été suivis de remords ou de regrets. La notion de perversité implique une stratégie d’utilisation puis de destruction d’autrui, sans aucune culpabilité.

Les pervers narcissiques sont considérés comme des psychotiques sans symptômes, qui trouvent leur équilibre en déchargeant sur un autre la douleur qu’ils ne ressentent pas et les contradictions internes qu’ils refusent de percevoir. Ils « ne font pas exprès » de faire mal, ils font mal parce qu’ils ne savent pas faire autrement pour exister. Ils ont eux-mêmes été blessés dans leur enfance et essaient de se maintenir en vie. Ce transfert de la douleur leur permet de se valoriser aux dépens d’autrui.

La personnalité narcissique est décrite ainsi (elle présente au moins cinq des manifestations suivantes) :
- le sujet a un sens grandiose de sa propre importance;
- est absorbé par les fantaisies de succès illimité, de pouvoir;
- pense être « spécial » et unique;
- a un besoin excessif d’être admiré;
- pense que tout lui est dû;
- exploite l’autre dans les relations interpersonnelles;
- manque d’empathie;
- envie souvent les autres;
- fait preuve d’attitudes et de comportements arrogants
.

Le narcissisme

Un Narcisse, si l’on se réfère au Narcisse d’Ovide, est quelqu’un dont la vie consiste à chercher son reflet dans le miroir. L’autre n’existe pas en tant qu’individu mais en tant que miroir. C’est quelqu’un qui est obligé de se construire un jeu de miroirs pour se donner l’illusion d’exister. Comme un kaléidoscope, ce jeu de miroirs a beau se répéter et se multiplier, cet individu reste construit sur du vide. N’ayant pas de substance, il se « branche » sur l’autre et, comme une sangsue, essaye d’aspirer sa vie.

Les pervers narcissiques sont insensibles, sans affect. Comment une machine à reflets pourrait-elle être sensible? De cette façon, ils ne souffrent pas. Souffrir suppose une chair, une existence. Ils n’ont pas d’histoire puisqu’ils sont absents. Seuls les êtres présents au monde peuvent avoir une histoire.

La mégalomanie

Les pervers narcissiques sont des individus mégalomanes qui se posent comme référents de la vérité, de la rectitude. On leur attribue souvent un air supérieur, distant. Même s’ils ne disent rien, l’autre se sent pris en faute. Ils présentent une absence totale d’intérêt et d’empathie pour les autres, mais ils souhaitent que les autres s’intéressent à eux. Tout leur est dû. Ils n’admettent aucune mise en cause et aucun reproche. Les pervers entrent en relation avec les autres pour les séduire; on les décrit souvent comme des personnes séduisantes et brillantes.

Dans la logique perverse, il n’existe pas de notion de respect de l’autre. Autrui n’existe pas, il n’est pas vu, pas entendu. Il est seulement « utile ». Les pervers narcissiques sont imperméables à l’autre et à sa différence, sauf s’ils ont le sentiment que cette différence peut les déranger. C’est le déni total de l’identité de l’autre, dont l’attitude et les pensées doivent être conformes à l’image qu’ils se font du monde.

La force des pervers est leur insensibilité. Ils ne connaissent aucun scrupule d’ordre moral. Ils ne souffrent pas. Ils attaquent en toute impunité car même si en retour les autres utilisent des défenses perverses, ils ont justement été choisis pour leur incapacité d’atteindre à la virtuosité qui les protègerait. Quand le pervers ressent une blessure narcissique (défaite, rejet), il éprouve un désir illimité d’obtenir une revanche; c’est une rancune inflexible à laquelle il applique toutes ses capacités de raisonnement. L’efficacité de ses attaques tient au fait que la victime ou l’observateur extérieur n’imagine pas qu’on puisse être à ce point dépourvu de sollicitude ou de compassion envers autrui.

L’irresponsabilité

Les pervers se considèrent comme irresponsables parce qu’ils n’ont pas de subjectivité véritable. Absents à eux-mêmes, ils le sont tout autant aux autres. S’ils ne sont jamais là où on les attend, s’ils ne sont jamais pris, c’est tout simplement qu’ils ne sont pas là. Au fond, quand ils accusent les autres d’être responsables de ce qui leur arrive, ils n’accusent pas, ils constatent : puisque eux-mêmes ne peuvent pas être responsables, il faut bien que ce soit l’autre. Jamais responsables, jamais coupables : tout ce qui va mal est toujours de la faute des autres.

Ils se défendent par des mécanismes de projection en portant au crédit d’autrui toutes leurs difficultés et leurs échecs. Ils se défendent aussi en déniant la réalité. Ce déni est constant, même dans les petites choses quotidiennes, et même si la réalité prouve le contraire. La souffrance est exclue, le doute de soi également. Ils doivent donc être portés par les autres. Agresser les autres est le moyen d’éviter la douleur, la peine, la dépression.

La paranoïa

Les pervers narcissiques tendent à se présenter comme des moralisateurs : ils donnent des leçons de probité aux autres. En cela ils sont proches des personnalités paranoïaques.

La personnalité du paranoïaque se caractérise par :
- l’hypertrophie du moi : orgueil, sentiment de supériorité;
- la psychorigidité : obstination, intolérance, rationalité froide, difficulté à montrer des émotions positives, mépris d’autrui, sarcasme;
- la méfiance : crainte exagérée de l’agressivité d’autrui, sentiment d’être victime de la malveillance de l’autre, suspicion, jalousie;
- fausseté de jugement : elle interprète des évènements neutres comme étant dirigés contre elle.

Cependant, à la différence du paranoïaque, le pervers, s’il connait bien les lois et les règles de la vie en société, se joue de ces règles pour mieux les contourner. Le propre du pervers est de défier les lois. Son but est de dérouter l’interlocuteur en lui montrant que son système de valeurs ne fonctionne pas, et ainsi de l’amener à une éthique perverse.

La prise de pouvoir des paranoïaques se fait par la force tandis que celle du pervers se fait par la séduction – mais quand la séduction ne marche plus, il peut recourir à la force. La phase de violence est en elle-même un processus de décompensation paranoïaque : l’autre doit être détruit parce qu’il est dangereux. Il faut attaquer avant d’être soi-même attaqué.

Il s’agit là d’une défense contre la désintégration psychique. En attaquant l’autre, le pervers cherche avant tout à se protéger. Là où pourrait apparaitre de la culpabilité nait une angoisse psychotique insupportable qui est projetée sur le bouc émissaire avec violence. Celui-ci est le réceptacle de tout ce que son agresseur ne peut pas supporter. Ce mécanisme lui assure une relative stabilité.

Parce qu’ils se sentent impuissants, les pervers craignent la toute-puissance qu’ils imaginent chez les autres. Dans un registre quasi délirant, ils se méfient d’eux, leur prêtent une malveillance qui n’est que la projection de leur propre malveillance. La haine projetée sur une cible devenue proie suffit à apaiser les tensions intérieures, ce qui permet au pervers de se montrer d’une compagnie agréable par ailleurs. D’où la surprise ou même le déni des personnes qui apprennent les agissements pervers d’un proche qui n’avait jusqu’alors montré que sa face positive. Dés lors, les témoignages des victimes ne paraissent pas crédibles.

La victime objet

La victime est victime parce qu’elle a été « désignée » par le pervers. Elle devient le bouc émissaire responsable de tout le mal. Elle sera désormais la cible de la violence, évitant à son agresseur la remise en question. Elle va payer pour les crimes « qu’il » a commis. Même les témoins de l’agression la soupçonnent. On imagine qu’elle consent tacitement ou qu’elle est complice, consciemment ou non, de son agression. Il est commun d’entendre dire que si une personne est devenue victime, c’est qu’elle y était prédisposée par sa faiblesse ou ses manques. Nous voyons au contraire, que les victimes sont habituellement « choisies » parce qu’elles ont un plus que l’agresseur cherche à s’approprier.

Pourquoi a-t-elle été choisie?

Parce qu’elle était là. Elle n’a rien de spécifique pour l’agresseur. C’est un objet interchangeable qui était là au mauvais/bon moment et qui a eu le tort de se laisser séduire – et parfois celui d’être trop lucide. Elle n’a d’intérêt pour le pervers que lorsqu’elle est utilisable. Elle devient un objet de haine dès qu’elle se dérobe ou qu’elle n’a plus rien à donner.

N’étant qu’un objet, peu importe qui elle est. Néanmoins, l’agresseur évite quiconque pourrait le mettre en péril. Quand pervers et paranoïaques s’associent, cela ne fait que décupler l’effet destructeur sur les victimes désignées. C’est ce que l’on voit plus particulièrement dans les groupes et dans les entreprises. Il est plus amusant de mépriser ou de se moquer de quelqu’un devant un spectateur encourageant! Il n’est pas rare que les pervers recueillent une approbation tacite de témoins qu’ils ont d’abord déstabilisés, puis plus ou moins convaincus.

Le propre d’une attaque perverse, c’est de viser les aspects vulnérables de l’autre, là où il existe une faiblesse. Chaque individu présente un point faible qui deviendra pour le pervers un point d’accrochage. Les pervers ont une intuition très grande de ces points de fragilité. Les pervers cherchent chez l’autre le point faible qu’il suffit ensuite d’activer par une communication déstabilisante.

Le discours des pervers narcissiques est un discours totalitaire qui nie l’autre dans sa subjectivité. On peut se demander pourquoi les victimes intériorisent ce discours alors que la réalité peut démentir ce discours. Or si on se sert d’elles, ce n’est pas pour autant le jeu qu’elles souhaitent jouer.

Dans la relation avec le pervers, il y a domination de l’un sur l’autre et impossibilité pour la victime, de réagir et d’arrêter le combat. C’est en cela qu’il s’agit réellement d’une agression. La mise en place préalable de l’emprise a retiré le pouvoir de dire non. Il n’y a pas de négociation possible, tout est imposé. La victime est entrainée dans cette situation perverse à son corps défendant. Elle s’est retrouvée engluée dans une situation sans avoir les moyens d’y échapper. Le tort essentiel de la victime est de n’avoir pas été méfiante, de n’avoir pas pris en considération les messages violents non verbaux. Elle n’a pas su traduire les messages, elle a pris ce qui a été dit au pied de la lettre.

La faille à laquelle s’attaquent les pervers se situe le plus souvent dans le registre de la dévalorisation et de la culpabilité. Un procédé évident pour déstabiliser l’autre est de l’amener à se culpabiliser. Ce fonctionnement totalisant est le même chez l’agresseur et chez l’agressé. Dans les deux cas, il existe une exacerbation des fonctions critiques, envers l’extérieur pour les pervers, envers soi-même pour les victimes. Lors d’une agression, il suffit aux pervers de nier pour que les victimes doutent. Même si elles ont parfois un sentiment d’injustice, leur confusion est telle qu’elles n’ont aucun moyen de réagir. En effet, face à un pervers narcissique, il est impossible d’avoir le dernier mot : la seule issue est de se soumettre.

Accepter cette soumission ne se fait qu’au prix d’une tension intérieure importante, permettant de ne pas réagir et de calmer l’autre quand il est énervé. Cette tension est génératrice de stress. Lorsque ces pressions se poursuivent sur de longues périodes, la résistance s’épuise, on ne peut plus éviter l’émergence d’une anxiété chronique. Cet état de stress chronique peut se traduire par un état d’appréhension et d’anticipation difficile à maitriser, un état de tension permanente et d’hypervigilance.

Lors d’une agression perverse, l’agresseur fait en sorte de paraitre tout-puissant, donnant à voir rigueur morale et sagesse. On sait que l’agressivité impulsive, tout comme l’agressivité prédatrice, peut mener au crime violent. Les pervers, pour prouver que leur victime est mauvaise, sont prêts à susciter chez elle de la violence à leur égard.

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Extrait/adaptation de
Le harcèlement moral; la violence perverse au quotidien  
Marie-France Hirigoyen, médecin, psychanalyste, psychothérapeute familiale

1 commentaire:

  1. Anonyme4.10.13

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