7 mars 2012

Du tout beau!

Pour les amateurs de poésie : Sabine Sicaud


La main des dieux, tu peux refuser de la prendre

La main des dieux, tu peux refuser de la prendre.
La main du mendiant, tu peux aussi.
Toutes les mains qui frôleront la tienne, tu peux les oublier.
La main de ton ami, ferme les doigts sur elle, et serre-la si fort
que le sang de ton cœur y batte avec le sien au même rythme.


Le chemin de l'amour

Amour, mon cher Amour, je te sais près de moi
Avec ton beau visage.
Si tu changes de nom, d'accent, de cœur et d'âge,
Ton visage du moins ne me trompera pas.
Les yeux de ton visage, Amour, ont près de moi
La clarté patiente des étoiles.
De la nuit, de la mer, des îles sans escales,
Je ne crains rien si tu m'as reconnue.
Mon Amour, de bien loin, pour toi, je suis venue
Peut-être. Et nous irons Dieu sait où maintenant ?
Depuis quand cherchais-tu mon ombre évanouie ?
Quand t'avais-je perdu ? Dans quelle vie ?
Et qu'oserait le ciel contre nous maintenant ?


Ne me parle pas d’absence, toi qui ne sais pas

Ne me parle pas d’absence, toi qui ne sais pas.
Mets seulement ta joue contre la mienne.
As-tu jamais interrogé la porte qui doit s’ouvrir pour le retour
et désespéré…?
As-tu jamais, au petit jour, songé qu’on pourrait
ne plus se revoir peut-être et imaginé?...
Serre-moi plus fort.
Nos deux ombres séparées, que deviendraient-elles?


Et que m’importe la coque de ton âme

Et que m’importe la coque de ton âme,
qu’elle soit jeune ou vieille, épaisse ou fine;
que l’on t’appelle un homme ou une femme,
que tu sois une cloche, un gong ou le grelot
d’une source invisible,
j’entendrai bien le son. 


La paix

Comment je l'imagine?
Eh bien, je ne sais pas...
Peut-être enfant, très blonde, et tenant dans ses bras
Des branches de glycine?

Peut-être plus petite encore, ne sachant
Que sourire et jaser dans un berceau penchant
Sous les doigts d'une vieille femme qui fredonne...
Parfois, je la crois vieille aussi... Belle, pourtant,
De la beauté de ces Madones
Qu'on voit dans les vitraux anciens. Longtemps
Bien avant les vitraux – elle fut ce visage
Incliné sur la source, en un bleu paysage
Où les dieux grecs jouaient de la lyre, le soir.

Mais à peine un moment venait-elle s'assoir
Au pied des oliviers, parmi les violettes.
Bellone avait tendu son arc... Il fallait fuir.
Elle a tant fui, la douce forme qu'on n'arrête
Que pour la menacer encore et la trahir !

Depuis que la terre est la terre
Elle fuit... Je la crois donc vieille et n'ose plus
Toucher au voile qui lui prête son mystère.
Est-elle humaine ? J'ai voulu
Voir un enfant aux prunelles si tendres !

Où ? Quand ? Sur quel chemin faut-il l'attendre
Et sous quels traits la reconnaitront-ils
Ceux qui, depuis toujours, l'habillent de leur rêve ?
Est-elle dans le bleu de ce jour qui s'achève
Ou dans l'aube du rose avril ?

Écartant, les blés mûrs, paysanne aux mains brunes
Sourit-elle au soldat blessé ?
Comment la voyez-vous, pauvres gens harassés,
Vous, mères qui pleurez, et vous, pêcheurs de lune ?

Est-elle retournée aux Bois sacrés,
Aux missels fleuris de légendes ?
Dort-elle, vieux Corot, dans les brouillards dorés ?
Dans les tiens, couleur de lavande,
Doux Puvis de Chavannes ? Dans les tiens,
Peintre des Songes gris, mystérieux Carrière ?
Ou s'épanouit-elle, Henri Martin, dans ta lumière ?

Et puis, je me souviens ...
Un son de flûte pur, si frais, aérien,
Parmi les accords lents et graves ; la sourdine
De bourdonnants violoncelles vous berçant
Comme un océan calme ; une cloche passant,
Un chant d'oiseau, la musique divine,
Cette musique d'une flotte qui jouait,
Une nuit, dans le chaud silence d'une ville;
Mozart te donnant sa grande âme, paix fragile...

Je me souviens... Mais c'est peut-être, au fond, qui sait ?
Bien plus simple... Et c'est toi qui, la connais,
Sans t'en douter, vieil homme en houppelande,
Vieux berger des sentiers blonds de genêts,
Cette paix des monts solitaires et des landes,
La paix qui n'a besoin que d'un grillon pour s'exprimer.

Au loin, la lueur d'une lampe ou d'une étoile;
Devant la porte, un peu d'air embaumé ...
Comme c'est simple, vois ! Qui parlait de tes voiles
Et pourquoi tant de mots pour te décrire ? Vois,
Qu'importent les images : maison blanche,
Oasis, arc-en-ciel, angélus, bleus dimanches !
Qu'importe la façon dont chacun porte en soi,
Même sans le savoir, ton reflet qui l'apaise,
Douceur promise aux cœurs de bonne volonté...

Ah ! Tant de verbes, d'adjectifs, de parenthèses !
Moi qui la sens parfois, dans le jardin, l'été,
Si près de se laisser convaincre et de rester
Quand les hommes se taisent...

~ Sabine Sicaud

***
Œuvres complètes compilées par un Québécois :
http://www.sabinesicaud.com/

Autres sites : http://poesie.webnet.fr/lesgrandsclassiques/poemes/sabine_sicaud/sabine_sicaud.html

http://poesieenvrac.blogspot.com/ (une caverne d’Ali Baba poétique)  


Wikipédia – extrait biographique :

Sabine Sicaud, née le 23 février 1913 et morte le 12 juillet 1928, est une poétesse française. Elle a vécu à Villeneuve-sur-Lot, dans la maison de ses parents, nommée La Solitude. Solitude est aussi le titre d'un de ses poèmes.

Ses Poèmes d'enfant, préfacés par Anna de Noailles, ont été publiés lorsqu'elle avait treize ans. Après les chants émerveillés de l'enfance et de l'éveil au monde, est venue la souffrance, insupportable. Atteinte d'ostéomyélite, appelée aussi gangrène des os, elle écrit « Aux médecins qui viennent me voir » :
« Faites-moi donc mourir, comme on est foudroyé
D'un seul coup de couteau, d'un coup de poing
Ou d'un de ces poisons de fakir, vert et or... »

Dès son recueil de 1926 (elle a 13 ans), Anna de Noailles est stupéfaite par l’acuité de son regard sur les êtres et les choses. De plus, la jeune poétesse manifeste une grande maturité d’écriture, autant qu’une grande culture. Les poèmes des derniers mois sont marqués par la maladie et par la souffrance.

Aucun commentaire:

Publier un commentaire