4 janvier 2011

NOUI ...



Nos parents commençaient dès la petite enfance à nous extorquer des OUI à renfort de punitions, privations et autres tourments plus ou moins subtils : «si tu manges pas tes légumes, t’auras pas de dessert, ou si tu fais pas tes devoirs, t’iras pas jouer dehors, ou si t’es pas sage, t’auras pas de cadeaux à Noël», et ainsi de suite. Ou bien, ils utilisaient le chantage émotif : «si tu prêtes pas tes jouets, tu vas faire de la peine au p’tit Jésus, si t’es dissipée à l’école, j’t’aimerai plus ». La  meilleure que j’ai entendue récemment, c’est «si tu sors avec cette fille-là, mon gars, tu vas faire mourir ta mère…»; énorme responsabilité pour un ado! Bien entendu, la nature des menaces évoluait avec l’âge et le contexte, mais celle-ci dépendait aussi du degré de machisme des éducateurs qui s’étaient ajoutés à l’autorité parentale.

Or cette manipulation insidieuse faisait en sorte que nous finissions par croire que dire OUI aux autorités était synonyme de récompense et dire NON synonyme de punition. Faire ce qu’on aime devenait une source de culpabilité artificielle puisque nous essuyions régulièrement des refus, peu importe la validité de ces refus. Les prétextes au chantage émotif visant à nous imposer des comportements tout à fait arbitraires étaient légions.

«Faire ce que les autres nous demandaient» nous garantissait acception, amour et récompense. Qui plus est, ce mythe culturel affectait particulièrement les filles car elles étaient traditionnellement éduquées pour croire que leur job était de rendre les autres heureux. Le problème, c’est que continuer à dire OUI quand on pense NON, fait naître de la frustration, du ressentiment et une colère sournoise souvent dirigée contre soi.

J’ai été membre en règle du sélect Club des Frustrés pendant quasi un demi siècle avec des désistements plus ou moins prolongés selon mon degré de rébellion vis-à-vis des autorités du moment, fussent-elles parentales, scolaires, religieuses ou socioculturelles.

Or un beau jour, j’ai décidé que j’allais dire OUI au NON, coûte que coûte, que je ne ferais plus figure de béni-oui-oui à perpétuité, même si malgré tout j’en faisais à ma tête la plupart du temps. Bien sûr, l’idée n’était pas de devenir une béni-non-non systématique. Mais je ne voulais plus dire OUI par peur de décevoir, de me sentir coupable, d’être abandonnée, rejetée, privée d’amour ou autres. J’ai donc décidé d’assumer les conséquences de mes NON, à savoir, la contrariété, la mauvaise humeur, la colère ou le rejet des manipulateurs qui essayaient de me faire agir à leur gré, que les motifs soient raisonnables, bien intentionnés ou non.

Habituellement lorsque les gens nous demandent quelque chose, c’est qu’ils souhaitent extorquer un consentement, plus ou moins directement – certains font un détour par Vancouver pour mieux déguiser leurs requêtes. J’ai donc cessé de répondre OUI sur-le-champ, comme une automate. Si j’hésitais ou que je me sentais piégée, cela m’indiquait un manque d’intérêt ou un besoin d’informations supplémentaires. Si je ne savais pas comment dire NON avec diplomatie, je me libérais de la pression indue en répondant que je voulais réfléchir avant de prendre une décision. J’évitais ainsi l’horrible désistement qui suivait fréquemment le OUI impulsif.

Les situations banales du quotidien devinrent mon terrain de pratique privilégié : le succès était quasi assuré. Peu à peu j’ai réalisé que les NON les plus efficaces étaient les moins compliqués car plus je me confondais en explications, plus les gens essayaient de me faire changer d’idée. Au travail, par exemple, si on me demandait de faire du surtemps, je prétextais un rendez-vous sans fournir de détails. Autrement, on me disait que mes excuses étaient inacceptables. J’ai découvert qu’il ne fallait simplement pas ouvrir la porte aux discussions, qu’il fallait dire NON calmement, mais fermement. En réalité, ne pas vouloir faire quelque chose est en soi la seule et unique justification raisonnable.

Ce que j’ai trouvé le plus difficile au début, c’était de me débarrasser de la culpabilité artificielle corrélée au NON. J’avais l’habitude de précéder le NON d’un je suis désolée, mais… ou c’est dommage, mais... Ce faisant, je tendais la perche à l’autre pour qu’il utilise mon sentiment de culpabilité à son avantage. J’ai fini par comprendre que je n’avais aucune raison d’être désolée de faire ce que je jugeais être le mieux pour moi.

Et puis, j’ai rencontré une foule de gens pour qui le NON ferme n’était pas une réponse et qui utilisaient des tactiques de «haute pression» pour me faire céder. Dans ces cas-là, je me transformais en disque rayé tout en résistant à la tentation de fournir des excuses. Ils finissaient par battre en retraite.

Il m’arrive encore de donner dans le panneau, mais je suis quand même plus vigilante; c’est même devenu un plaisir que de proférer un NON bien fondé. D’un autre côté, quand je dis OUI, ce n’est pas un NOUI; c’est un OUI loyal. Néanmoins, avant de dire OUI, je prends le temps de me demander si je veux réellement faire cette chose ou si c’est juste par crainte de subir des représailles. J’évalue également ce que je recevrai en retour de ma participation, c’est-à-dire, si cela en vaut vraiment la peine ou si cela risque de devenir accablant; surtout lorsqu’il s’agit d’un engagement à moyen ou à long terme.

Ces vérifications m’ont aidée à dépouiller mon agenda d’un nombre incalculable d’obligations mondaines et même de tâches inscrites à l’agenda d’autres personnes qui essayaient de me les refiler – certaines personnes n’éprouvent aucun remords à déléguer leurs corvées...

Quoiqu’il en soit, cette vigilance me permet maintenant de me consacrer aux choses qui ont le plus de valeur à mes yeux.

Étant donné qu’avec l’âge les phases de la vie se répètent en sens inverse, je suis donc dans ma phase du NON – dire OUI au NON.

1 commentaire: