30 août 2010

Cruel destin

Hier soir j’ai vu le documentaire de l’ONF « Martha qui vient du froid », tourné en 2008.

Touchant et extrêmement désolant, d’autant que ce genre de destin a été et est le lot de nombreux peuples sur d’autres continents.

Le film est disponible en DVD.
Bande-annonce sur le site de l’ONF : http://onf.ca/film/Martha_qui_vient_du_froid

Synopsis : Le film raconte la vie de Martha et de sa famille dans un des lieux les plus inhospitaliers du monde : l’île d’Ellesmere*. Dans les années 1950, comme plusieurs familles inuites, la famille de Martha a été déplacée par le gouvernement qui voulait assurer une présence sur ce territoire. Elle n'a que 5 ans lorsque sa famille et d'autres membres de la communauté d'Inukjuak acceptent l'offre du gouvernement canadien d'aller s'établir dans l'Arctique. Mais pour eux, les promesses de vie meilleure se muent rapidement en un terrible cauchemar de faim et de froid. Quelques décennies plus tard, Martha, petite-fille du célèbre cinéaste Robert Flaherty (NANOOK OF THE NORTH), revient sur les lieux de son enfance et interroge ceux qui ont vécu comme elle les souffrances de cette déportation. « Martha qui vient du froid » révèle un pan méconnu de notre histoire. C'est également le récit de la vie de personnes dont le courage et la détermination forcent l'admiration.

* Située à proximité de l’iceberg Petermann qui vient de se détacher du Groenland et glisse tranquillement vers le sud depuis le début d’août…

Commentaire :
On aurait pu simplement installer des bases militaires pour assurer une présence territoriale, non?
    Depuis que le monde est monde, les combats pour la suprématie et la sécurisation des territoires conquis ont forgé l’histoire de la planète. Chaque nation attend patiemment son tour… Aujourd’hui, des méthodes un peu plus « raffinées » se sont ajoutées aux autres techniques d’invasion. Il suffit de provoquer un trouble quelconque d’ordre économique ou écologique ou encore d’introduire des drogues, des maladies, etc.; ensuite, on n’a qu’à envoyer des « colons » pour sauver les victimes...
    Certains pays sont peu peuplés comparativement à d’autres où la population déborde le cadre de leurs frontières. Regarder des multitudes d’enfants mourir de faim est-il mieux que de privilégier la contraception? La planète sera-t-elle capable de supporter 8, 9 ou 10 milliards d’individus?
    L’histoire de Martha et des Inuits m’a fait penser au livre « Le Principe de Lucifer » de Howard Bloom (The Lucifer Principle, 1997; publié en français aux éditions Le Jardin des Livres, 2001). Cet ouvrage a radicalement changé ma perception de l’espèce humaine. Un livre passionnant qui se lit comme un suspense, et nous aide à porter un regard plus lucide sur la condition humaine, identique en tous points à celle de l’animal – notre vernis socioculturel ou religieux ainsi que notre arsenal de combat plus sophistiqué ne changent rien à la dynamique de la préséance. Toujours les mêmes scénarios dans des formes physiques différentes et d’autres décors. Une pièce de théâtre de mauvais goût qu’on rejoue depuis des éons.

Le Principe de Lucifer
Une expédition scientifique dans les forces de l'histoire!

« Le livre de Howard Bloom devrait être obligatoire à lire pour tout le monde, surtout les Américains, qui veulent une compréhension en profondeur des motifs individuels ou des explications sur la politique publique. Au cours des dernières années nos sages ont rendu publiques bien des études scientifiques qui effleurent les relations intimes entre génétique, comportement humain et culture. Cependant, très peu, voire aucune, n’a eu le courage d’explorer comment l’histoire génétique peut influencer notre comportement personnel, et, en contrepartie, la direction même de la société. Le Principe de Lucifer est lucide, bien documenté, et totalement provoquant. Il détruit bien des mythes et nous oblige à regarder le monde avec une autre perspective. »
- Prakash Mishra (The Mountbatten Medical Trust)

Voici quelques extraits qui vous donneront peut-être envie de lire - ou relire – l’ouvrage.

Bloom débute son chapitre « Le principe barbare » par cette citation de Denis Diderot :
« Un millier d’hommes qui ne craignent pas pour leur vie sont plus redoutables que dix mille hommes qui craignent pour leur fortune. »
« Une place au sommet de l’ordre de préséance n’est jamais permanente. Loin de là. Les animaux qui arrivent au sommet connaissent ce simple fait. Ils savent que les adolescents d’hier sont devenus les adultes agités d’aujourd’hui et observent avec circonspection ces jeunes rivaux jauger leurs chances de renverser leurs aînés du sommet de l’ordre social.
   Les bêtes dominantes restent vigilantes. Mais une chose étrange se produit parmi les nations qui sont à l’apogée de l’ordre de préséance. Le superorganisme dominant s’endort parfois. Il tombe avec suffisance dans le piège fatal, pensant que sa position supérieure est un don de Dieu, que son sort heureux est éternel, que son statut imposant est gravé dans la pierre. Il oublie que tout ordre de préséance est temporaire et ne se souvient plus à quel point la vie peut-être affreuse ici-bas. Il doit alors souvent faire face à une désagréable surprise.
    Nous savons que Rome a été morcelée par des peuples méprisés par les Romains. Les barbares ne se rasaient pas. Ils portaient des vêtements sales. Ils étaient presque toujours saouls. Leur niveau de vie était légèrement au-dessus de celui d’une mule. Leur technologie était ridicule. Ils ne savaient généralement ni lire ni écrire et n’avaient certainement pas de « culture ». Que savaient donc faire ces primitifs malodorants? Ils savaient se battre. »
Le dénominateur commun des barbares qui ont fait chuter divers empires les uns après les autres est toujours le même : « l’amour de la bataille ».

Ensuite Bloom décrit comment l’empire Égyptien fut remplacé par celui des Babyloniens. L’empire Babylonien fut récupéré par les Perses; et enfin, la Perse perdit sa préséance aux mains d’Alexandre le Grand – « …comme les Babyloniens avant eux, les Perses ne voyaient pas les barbares et pensaient n’avoir d’ennuis qu’avec les nations connues pour leur puissance militaire. Ils oubliaient que le réel danger vient souvent d’un peuple que tout le monde a totalement rejeté. »

Durant l’apogée d’un empire, les gens vivaient dans l’opulence : « Ils trouvaient tout ce qu’ils voulaient en quantité. Un petit tour dans les magasins de la ville et vous reveniez chargé de cosmétiques, de parfum et parfois d’une statue de chat pour décorer le salon. Du pain, de la bière et des ustensiles de cuisine étaient disponibles au marché local en quantités vertigineuses. Un système d’irrigation à l’échelle nationale assurait l’approvisionnement en aliments frais. Et, grâce à un système étatisé de stockage des excédents agricoles, chacun avait à manger en grande quantité, même en cas de mauvaise saison (The Age of the God Kings; Alexandria, Va. : Time-Life Books, 1987). »

Bloom parle ensuite des renversements surprise qui se sont produits plus près de nous, tels que la révolution française, la défaite de Napoléon, etc., jusqu’à nos jours : « L’Angleterre connut un sort tout aussi surprenant lorsqu’elle braqua ses fusils sur les superpuissances de son époque au cours des deux dernières guerres mondiales. Lorsque la fumée se fut dissipée, deux nations arriérées de nouveaux venus finirent par dominer le monde. Ces pays, dont les habitant étaient généralement considérés comme des arriérés, des moins que rien, étaient les États-Unis et la Russie. »

J’aime bien la conclusion de son chapitre :
« Moralité : N’oubliez jamais les surprises que peut réserver l’ordre de préséance. La superpuissance d’aujourd’hui est l’État conquis de demain. Le groupe méprisé d’hier est souvent le dirigeant de demain. Ne sous-estimez pas le tiers-monde. Ne faites jamais preuve de suffisance au sujet des barbares. » (Note de pied de page : Pour une analyse totalement différente de la menace barbare à travers l’histoire, mais qui étaye néanmoins les conclusions de ce chapitre, cf. Bennett Bronson, « The Role of Barbarians in the Fall of States, dans Yoffe et Cowgill, Collapse of Ancient States, pages 196-218)

Qui paye le plus cruellement les frais de la guerre encore aujourd’hui?
Les femmes et les enfants.

« La plus grande chance de l’homme est de poursuivre et de vaincre son ennemi, de s’emparer de toutes ses possessions, de laisser son épouse pleurer et de monter son cheval et d’utiliser le corps de ses femmes comme chemise de nuit et soutien. » - Genghis Khan

« Chercher à apaiser des gouvernements qui se délectent des massacres est une invitation à une catastrophe mondiale. » - Fang Lizhi

Extrait de l’épilogue :
« … la Nature crée en détruisant. Son marteau et son ciseau frappent sans discontinuer. À chaque coup jaillissent des éclats. Au fur et à mesure que ces éclats s’accumulent sur le sol, le sculpteur se contente de balayer le tas de poussière et d’éclats de pierre inutiles. La Nature fait de même. Mais ces fragments qui ont été jetés dans l’atelier naturel sont les corps de créatures qui étaient, quelques instants auparavant, vivantes, des créatures telles que vous et moi. La Nature crée en mettant ses inventions en compétition les unes avec les autres.
    Nous devons inventer un moyen pour que les mèmes* et leurs transporteurs superorganismiques, les nations et les sous-cultures, puissent se concurrencer sans carnage (…) sans que le sang soit versé.
    (…) Il n’y a pas de Mère Nature qui aime sa progéniture et la protège du mal. Le mal est en réalité un outil fondamental de la Nature pour améliorer ses créations. »
On croirait lire Krishnamurti…
« Les superorganismes, les idées et l’ordre de préséance, la trinité du mal, ne sont pas des inventions récentes « programmées » en nous par la société occidentale, par le consumérisme, le capitalisme, la violence télévisuelle, les films d’épouvante ou le rock n’ roll. Ils sont intégrés à notre physiologie. Ils sont en nous depuis la naissance de la race humaine.
    Mais il y a de l’espoir quand au fait que nous nous libérerons un jour de la sauvagerie. L’évolution a offert une nouveauté à notre espèce : l’imagination. Grâce à ce don, nous rêvons de paix. Notre tâche, la seule peut-être à pouvoir nous sauver, est de transformer ce dont nous rêvons en réalité. Pour façonner un monde où la violence cessera d’exister. Si nous pouvons atteindre ce but, nous pourrons encore échapper à notre destin de progéniture précaire, de justes héritiers de ce qui est à la fois le plus grand don et la plus infâme malédiction de la Nature, de derniers enfants du Principe de Lucifer. »
* Mèmes : un noyau d’idées auto-réplicant. Grâce à quelques astuces biologiques, ces points de vue deviennent le ciment qui rassemble les civilisations, donnant à chaque culture sa forme distinctive, créant des êtres intolérants à la différence d’opinion, et d’autres ouverts à la diversité. Ce sont là les clés avec lesquelles nous déverrouillons les forces de la Nature. Nos visions offrent un rêve de paix mais font également de nous des tueurs.

Commentaire :
Si jamais les humains choisissaient la coopération « désintéressée », à l’intérieur de leurs sociétés respectives et globalement avec les autres sociétés, eh bien, peut-être qu’ils pourraient oser se qualifier de « supérieurs ». Cette vision frise l’utopie et requiert une bonne dose d’imagination

***
« Être bienfaisant pour autrui ne consiste pas à faire des actions que l’on imagine devoir lui procurer du bien-être. Ce qu’il faut, c’est devenir soi-même une source de bien-être. Voyez le soleil : son activité ne se manifeste pas d’après un plan qu’il a arrêté. […] Il est le soleil, […] il ne peut pas s’empêcher de répandre de la chaleur et de la lumière et, par là, procurer du bien-être à tous les êtres. De la même manière, le Sage, qui est devenu un centre vivant d’intelligence et de bonté, émet naturellement des ondes d’énergie qui répandent des influences dans le monde. »
- Alexandra David-Néel, À l’ouest barbare de la vaste Chine, p. 226.

1 commentaire:

  1. Anonyme1.9.10

    "Le principe barbare"
    L'on pourrait dire à fortiori:
    Des millions d'hommes qui ne craignent pas pour leur vie sont plus redoutables qu'un millier d'hommes qui craignent pour leur fortune!
    Encore faudrait-il que ces millions d'hommes se libèrent des chaines de la servitude et du conditionnement social pour la compétition.
    Lorsque le principe d'émulation prévaudra sur la compétition au sein de l'ensemble des activités humaines alors viendra le temps de la société planétaire digne, adulte, responsable et respectable, en harmonie avec la biosphère.
    Le principe d'utopie aboutissant souvent à la réalité du lendemain, résistons et gardons l'espoir!

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